Le mythe de Morgane nous vient du fond des âges. Survivance d'une ancienne divinité irlandaise réapparue sous une autre forme ? Cette possible continuité mythique de la grande reine Mórrígan prolonge dans un accord parfait tout le caractère conquérant et puissant, indépendant et érudit de la déesse-mère celte. Instruite dans des domaines rejetés par l’église en plus d'être une femme indomptable, notre Morgane incarnera le génie du mal pour les fanatiques religieux du Moyen-Age et sera dès lors remodelée et nommée «"fée" ». Or Morgane n'a rien d'une fée ou d'une sorcière. C'est un être multiple et insaisissable. C'est une figure complexe et pleine d'étrangeté, qui, à travers les récits arthuriens, n'hésite pas à utiliser ses sortilèges les plus puissants, à jouer de ses charmes ou à tuer pour parvenir à ses fins. Morgane est de tous les paradoxes, tour à tour prêtresse, putain et guerrière ; régissant magie, amour et chaos. Protéiforme, elle nous apparaît tantôt sous les traits d'un Bran (corbeau) ou d'une Groac'h (vieille femme), évoquant symboliquement l'animal sacré et la gardienne des portes de l'autre monde. Dans leurs principes solaires et crépusculaires respectifs, ces métamorphoses viennent entourer et compléter un corps physique pour constituer une grande triade et incarner la tri-unité des forces créatrices du monde celtique.
Les mythes n'existent et ne se révèlent à nous que si nous les portons en nous. "Il y a simplement l'atmosphère que chacun apporte avec soi pour rechercher son Graal" disait Jean Markale.
Mon Graal personnel est un chemin tortueux et crypté sur les traces de Morgane. Je l'ai cherché dans les textes anciens et dans la parole des druides, sur l'île d'Aval jusqu'au détroit de Messine
et enfin et surtout dans la légendaire forêt de Brocéliande.
J'y ai marché en tous sens et en toute saison, je m'y suis perdu, j'y ai dormi et j'y ai beaucoup rêvé. Cent fois, j'ai cru parfois l’apercevoir à travers la brume, dans le bruissement des branches, dans l'envol d'un oiseau et partout et en toute chose qui s'éloigne des sentiers labourés par des troupeaux de randonneurs et de touristes. Car dans le pays de l'Autre Monde, on ne rencontre pas Morgane en suivant les panneaux pointant ses domaines mais en réglant son pas sur la trajectoire de la lune avec notre imaginaire à vif et nos sensations portées à l'incandescence.
Rencontrer Morgane se mérite. A l'abri des regards profanes, je sais qu'elle observe le questeur solitaire qui vient à elle, qu'elle épie chacun de ses gestes, évalue sa patience, son obstination, l'intuition qui guide chacun de ses pas. Je sais qu'elle veille à ce que son corps et son essence se diluent tout entier dans la nature, dans l'esprit de l'air et la profondeur du temps. Qu'il trouve symboles et présages en tout ce qui vibre, bruisse et croasse. Fou parce qu'il marche en s'entretenant avec les astres, les arbres, les pierres... et Sage aussi, puisqu'il marche en Brocéliande comme on marcherai au fond de soi. Morgane se porte comme un monde infini et non comme un simple mythe. Ce n'est qu'a cette condition qu'elle se révèle à nous.
Un jour le miracle de son évidence s'est mis sur mon chemin et tout alors s'est rempli de sa définition et de sa magie...
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